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Un exemple de communauté active : les usagers de la SNCF

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« Nous pouvons nous demander comment un public pourrait-il être organisé s’il ne tient littéralement pas en place ? Seuls des problèmes sérieux ou ce qui peut sembler en tenir lieu peuvent permettre de découvrir un dénominateur commun à des relations si changeantes et instables. L’attachement est une fonction très différente de l’affection. » (J. Dewey, Le Public et ses problèmes, 1927 – traduction de J. Zask, 2001).

Mettons un peu de chair sur notre propos au sujet des collectifs en ligne, et prenons un exemple – parmi d’autres – de regroupement d’individus formant une potentielle communauté de dialogue autour d’une marque au moyen des nouveaux outils de communication numérique, celui des usagers (mécontents) de la SNCF.

 

Les théoriciens du web relationnel le claironnent depuis bientôt dix ans : la « révolution » des médias sociaux tient à ce qu’ils permettent la diffusion à grande vitesse et à très large échelle des commentaires des internautes (et donc des consommateurs, d’où l’engouement des marques commerciales). Twitter s’est avéré particulièrement adapté au contact avec les marques, au point de devenir bien souvent l’outil privilégié du Social CRM (gestion de la relation clients au moyen des médias sociaux).

Communiquer et se coordonner en situation de mobilité

Voyages-SNCF, comme de nombreuses autres entreprises, a fait du service de microblogging un outil de SAV particulièrement efficace et très prisé de ses usagers. Il en va de même pour chaque ligne de RER et de métro, qui possède désormais son compte Twitter officiel.

Certains conducteurs se sont par ailleurs mis à utiliser, de leur propre initiative et en leur nom propre, un compte Twitter ou un blog pour répondre aux sollicitations des usagers et/ou raconter les anecdotes de leur travail. Le blog de Cédric G., hébergé par le site web du quotidien Libération, est emblématique d’une démarche de transparence et de sensibilisation des usagers à la pénibilité des situations de travail, et a déjà valu à son auteur l’intérêt de plusieurs titres de presse.

Il convient de préciser au passage que toutes les marques n’ont pas la même affinité avec le grand public. Dans les billets de blogs des commentateurs du web social, la SNCF apparaît régulièrement à ce titre comme une marque plutôt frileuse à l’égard des commentaires publics de ses usagers, ainsi que n’a pas manqué de le rappeler P. Valin sur le blog MyCommunityManager :

« Une marque comme Apple peut facilement se lancer sur le web, il y a une armée de fanboys prête à défendre leur marque fétiche. À l’inverse, la SNCF tremble chaque fois que le sujet est abordé. » (P. Valin, 30 mai 2013)

Du côté des utilisateurs des transports publics ferroviaires français, l’usage de Twitter se développe fortement depuis 2012, comme en témoignent de récents articles (ici et ) du quotidien Le Monde. Si les comptes officiels de la marque permettent manifestement une nette amélioration du dialogue avec les clients, et de ce fait une meilleure compréhension de ses derniers des difficultés auxquelles la première peut être confrontée dans la gestion quotidienne de ses services, il n’est pas très étonnant de découvrir en contrechamp que les espaces aménagés par les clients eux-mêmes véhiculent souvent une dimension critique passablement prononcée.

Destinés à la fois à partager une information en temps réel et à fournir une aide spontanée au collectif des individus partageant une situation commune, les médias sociaux peuvent également accueillir une volonté d’agir sur une situation jugée problématique et d’essayer de ce fait de ne plus seulement la subir.

Les usagers peuvent se regrouper pour agir sur les conséquences négatives d'une situation

S’unir pour se plaindre

Les retards de trains en particulier font l’objet de nombreuses plaintes des usagers de la SNCF, qui s’est vue « obligée » de mettre à disposition de ses consommateurs de nombreux services de questions & réponses, sous la forme d’un site dédié, d’un onglet sur sa page Facebook ou au moyen d’une myriade de comptes Twitter.

L’intérêt du cas étudié est que le mécontentement partagé devient un point commun entre usagers qui ne se connaissent pas par ailleurs, et donne lieu à des actions collectives. Si le mouvement ne frappe pas nécessairement par son ampleur, il est toutefois intéressant pour la dynamique d’échange qu’il met en œuvre entre ses membres. Ceux-ci sont connectés via Twitter pour recommander des wagons où restent des places assises, annoncer des retards, etc. Ils fondent aussi des groupes critiques sur Facebook, à l’image de l’emblématique SNCFvamtuer, lancé en février 2012, qui regroupe les usagers du TER Picardie. SNCFvamtuer décline sa présence en ligne sur un blog (présenté par la mention « Usagers pas résignés, pour un retour au triple A : assis, à l’heure et avertis »), un compte Twitter (qui compte à ce jour quelques 320 abonnés) et une page Facebook (recueillant environ 290 mentions « J’aime ») qui déclare être le fait d’un « regroupement d’usagers à la recherche de solution pour retrouver des conditions de transport “normales” dans le TER Picardie ».

Le mouvement a matérialisé son engagement politique en réalisant en mars 2013 en Picardie une enquête d’insatisfaction auprès des usagers des trains de la région, qui a obtenu plus de 1700 réponses en un peu plus d’un mois et a révélé des plaintes partagées au sujet du manque de ponctualité et de places assises à l’intérieur des trains, mais également un manque d’information de la part de la SNCF, enquête dont les résultats ont été présentés à la direction de l’entreprise.

Suite à un accroissement de la fréquence des contretemps sur les lignes de transport en commun d’Île-de-France, le mouvement a même eu l’honneur de la télévision : en date du 18 mars 2013, le 20H de TF1 a ainsi consacré un reportage à l’utilisation des médias sociaux par les usagers des transports publics de la région, dans lequel apparaît brièvement le blog de SNCFvamtuer. La journaliste commente à la fin :

« Twitter, Facebook ou encore les blogs, toute une communauté s’est mise en place dans les transports, pour s’informer mais aussi contester. Ces réseaux sociaux sont devenus une arme redoutable, que les usagers n’hésitent pas à utiliser pour faire pression lors de conflits avec la SNCF ou la RATP. »

La pluralité de ces moyens de communication va de pair avec leur usage en situation de mobilité, dessinant ainsi des formes originales d’expérimentation de l’espace urbain et de sociabilités connectées. La sociologie s’intéresse depuis quelques années à ces usages mobiles et à leurs conséquences plurielles. Comme le notent C. Licoppe et M. Zouinar (2009, p. 10) :

« Les mobilités et les environnements urbains ne constituent pas un simple contexte dans lequel les pratiques de consommation de contenus et de communication mobile trouveraient seulement des ressources pour se déployer. Ces pratiques produisent en retour les lieux et les mobilités dans lesquels elles se déploient. »

En effet, ainsi que le suggère le bref reportage de TF1, les usages de Twitter par les voyageurs modifient leur rapport à non seulement au temps, mais également à l’espace. De fait, le collectif des usagers de la SNCF et de la RATP fournit un riche exemple de l’articulation online / offline à laquelle contribuent les médias sociaux.

L'accessibilité mobile aux médias sociaux modifie le rapport au temps, mais aussi à l'espace

Du problème social au problème public, le dynamisme du public politique

Pour une fois, l’emploi de la notion de communauté (par la journaliste de TF1) ne me paraît pas totalement exagéré. Si les individus exaspérés par les retards, annulations et blocages de trains ne constituent certes pas un groupe soudé aux valeurs unanimement partagées, ils sont toutefois liés par un enjeu commun et leurs échanges s’articulent sur cette communalité d’intérêt. Nous tenons là un exemple valable d’une cause commune œuvrant  comme élément fédérateur d’un groupe s’efforçant d’avoir prise sur les conditions d’organisation d’un « territoire » (mobile) partagé.

La revendication du collectif SNCFvamtuer est simple : les usagers du TER souhaitent disposer d’un service de transport public efficient et transparent. La mise en perspective (critique) du cas étudié ici et de la publication du fournisseur de « solutions sociales » de marketing Lithium (avril 2012), discutée précédemment ici même, qui prônait le développement d’espaces communautaires privés, propres à une marque, révèle que la communauté des usagers du rail francilien n’appartient pas à la marque SNCF, mais agit pour elle-même au sein d’un espace public dans lequel elle cherche à constituer une arène de débat et à y déployer des leviers d’action dans l’optique de produire un effet sur la marque et ses services. Il s’agit bien de consommateurs des services de la SNCF et/ou de la RATP mais ils ne forment pas la communauté de la marque puisqu’ils agissent contre la marque (ou plus précisément contre les manquements estimés de cette dernière). Les membres de ce collectif, tout comme les autres usagers qui s’informent en temps réel via Twitter, forment en quelque sorte un public politique, qui émerge par la volonté d’agir ensemble sur les conséquences négatives d’une situation qui les affecte. Dans le cas du collectif SNCFvamtuer, cette dimension politique est explicite dans l’action qui consiste à envoyer régulièrement des lettres de revendication, notamment au PDG de la SNCF et au Président du Conseil Régional de Picardie.

Prendre le pli de la réactivité

Ainsi que je le mentionnais en introduction, les marques acquièrent peu à peu le réflexe de la communication digitale, et se familiarisent (plus ou moins subtilement bien sûr) avec le « code » qui régit les échanges en ligne. Il semble que l’on puisse à ce titre applaudir les efforts de la SNCF pour se plier aux normes de réactivité et d’humour du web social, comme en témoigne par exemple l’hilarant échange entre un usager déçu et le community manager de l’entreprise, en février 2013, sur la page Facebook officielle de celle-ci. Un échange sur le mode épistolaire dont l’élégance a forcé l’admiration de la plupart des commentateurs, et qui a fait parler de lui au point de se voir consacrer un article du Huffington Post.

Post-Scriptum : Les communautés ne se constituent pas uniquement dans l’adversité, bien sûr, et le propos de cet article ne visait d’ailleurs aucunement à juger ni le fonctionnement de la SNCF, ni la politique de communication et de gestion de la relation client de l’entreprise. L’exposition médiatique dont elle fait l’objet, en raison de son statut de service public, et la rapidité avec laquelle ses consommateurs réguliers expriment et partagent leur ressenti sur la qualité du service offert, m’ont paru fournir une illustration relativement intéressante du type de collectif que les services interactifs du web social peuvent contribuer à fédérer.

Bien évidemment – comme il est de bon ton de rappeler dans ce type de situation – mon propos n’engage que moi.

 

Références académiques

Licoppe Christian et Zouinar Moustafa, « Présentation (Dossier sur les usages avancés du téléphone mobile) », Réseaux, vol. 4, n° 156, p. 9-12.

Zask Joëlle, « Le public et ses problèmes. Extrait de The Public and its Problems (1927) », Hermès, 2001, n° 31, p. 77-91.


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